Jour 3 : Le long voyage de Jayapura à Mabul – premier jour
Dimanche 2 juin 2013.
A l’aéroport de Jayapura nous embarquons sur un vol de la compagnie Trigana Air. J’esquisse un sourire lorsque je vois la carte d’embarquement. Celle-ci ne comporte pas d’autres indications que le nom de la compagnie, la destination et mon prénom mal orthographié !
Pendant près d’une heure nous survolons la forêt. Une forêt si dense que je ne peux m’empêcher de penser qu’elle cache des tribus encore non découvertes.
En sortant du petit aéroport de Dekai, nous grimpons avec excitation à l’arrière du pick-up qui doit nous conduire jusqu’à l’embarcadère de Longpon. Un avant-goût de l’aventure et l’inconfort qui nous attendent.
Je me sens rajeunir. Je me revois quelques années en arrière en Afrique avec Alex et cela me réconforte de savoir que l’Aventure avec un grand A n’est pas finie.
45 minutes et deux postes de police plus tard (où Bob fait tamponner nos permis qu’il a obtenus à Jayapura), nous voici à Longpon.
Nous nous approvisionnons en paquets de biscuits dans la boutique de Mus, le conducteur, photo puis nous embarquons dans un canot à moteur flambant neuf. Nous sommes fiers (et pas spécialement rassurés…) d’être les premiers passager de l’Antar Arah, qui a été spécialement pourvu à notre intention de banquettes rembourrées. Le luxe ! Je ne m’attendais pas à tant de confort !
Petite présentation des passagers. Au total nous sommes douze personnes à bord : 7 Bule (prononcer [ˈbule]) (1), Bob le guide, Ferry le cuisinier, Mus, le conducteur, Wandi son neveu de 3 ans et demi qui a insisté pour le suivre, et enfin Atoke le « gouvernail » posté à l’avant du canot. Il est aussi le premier Korowai que nous rencontrons.
Notre voyage sur la rivière Brazza sera ponctué d’averses. Tous mes compagnons de voyage équipés de blousons imperméables de marque m’envient mon poncho. Depuis une mauvaise expérience aux marais de Kaw en Guyane française où je m’étais retrouvée trempée jusqu’aux os, je ne manque jamais de glisser un poncho dans mon sac de voyage.
Nous profitons des accalmies pour observer le spectacle – monotone mais reposant – que nous offrent les rives de la rivière Brazza. Le ciel est chargé de nuages. Çà et là des arbres géants montrent leur tête à travers les fenêtres de ciel bleu. Le contraste des couleurs est saisissant.
1h30 plus tard…
Seuls les bancs de sable donnent un autre visage au paysage. Et ils servent aussi d’arrêts pipi !
De temps à autres, une curiosité attire le regard de l’un des passagers, qui s’empresse alors de prévenir les autres. Look an eagle! Look at the rainbow!
Les habitations sont rares.
La faune ovipare incroyablement riche et diversifiée nous offre de belles occasions de sortir de notre contemplation rêveuse : aigles de Nouvelle-Guinée au plumage crème et marron, cacatoès, aigrettes, et toute une panoplie de petits oiseaux colorés dont je ne connais pas le nom. Mon plus beau souvenir sur le fleuve ce jour-là restera sans aucun doute la course folle au-dessus de la canopée de trois intrépides calaos. Ils sont loin mais en même temps suffisamment près pour que l’on distingue leur long bec tordu et coloré et leur pelage blanc et noir.
Une partie de pêche animée par Mus nous donne l’occasion de nous enfoncer un peu dans la jungle en empruntant un petit canal.
La nuit commence à tomber quand nous quittons la rivière Brazza pour le fleuve Eilanden. Eilanden… j’aime ce nom qui sonne comme un mot elfique.
Nous nous dirigeons vers le village de Suator, situé en aval du confluent (à l’inverse de Mabul – notre destination finale – situé en amont), et rattaché au district asmat.
Seules quelques bandes éparses de lumière se profilent au loin.
C’est le moment que choisissent des centaines – voire des milliers – de chauves-souris disgracieuses pour s’envoler de la forêt. On dirait qu’elles battent des ailes non pour voler mais pour se débarrasser d’un bout de scotch collé sur une aile.
Nous débarquons de nuit au village de Suator, où les générateurs privés constituent la seule source d’électricité. Bien que construit à même la rive, et non sur l’eau, le village entier se tient sur pilotis. Une fois installés dans la maison de la sœur de Mus (nos tentes posées à même le plancher), nous ne bougerons plus jusqu’à notre départ le lendemain matin. Notre logement est sommaire, mais propre. Il est même pourvu de toilettes (à la turque) en céramique. Pendant que les voisins – jeunes et moins jeunes – défilent devant la télévision (les affaires marchent bien pour notre hôtesse on dirait !), nous savourons sur la terrasse notre premier repas préparé par Ferry, qui s’avère être un incroyable cuisinier. Il saura nous surprendre à chaque nouvelle préparation, même au milieu de la jungle.
Les habitants que nous croisons dans la maison sont gentils, souriants et polis. Mais couche-tard. Les générateurs tourneront à plein pot jusqu’à tard dans la nuit. Et ce n’est qu’une fois que tous les visiteurs seront rentrés chez eux que je pourrai rejoindre ma tente, installée au milieu du salon.
(1) bule : mot communément utilisé en Indonésie pour désigner un étranger, en particulier un « Blanc »