Jour 4 : le long voyage de Jayapura à Mabul – deuxième jour  – l’arrivée à Mabul

Lundi 3 juin 2013

Il pleut depuis tôt ce matin. Depuis la terrasse, nous regardons impuissants la pluie remplir la pirogue au fur et à mesure que Mus la vide.

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Heureusement la pluie finit par s’arrêter et à 9 heures nous embarquons. Quelques pas dans la vase, quelques exercices d’équilibristes, et nous voici installés dans le canot.

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Bye Bye Suator !

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Nous remontons l’Eilanden jusqu’au confluent de ce fleuve et de la rivière Brazza que nous avons quittée la veille, et nous poursuivons en amont en direction de Mabul. Je n’ai pas mon compte de sommeil. Bercée par les ronflements du moteur, je ne tarde pas à tomber dans une douce somnolence. Ma voisine me tire de mon demi-sommeil pour me montrer un crocodile qui se prélasse sur la rive. Je suis surprise par sa taille importante et sa couleur qui vire au blanc.

A mesure que nous remontons le fleuve, celui-ci change de visage. Le courant devient plus fort et les bancs de sable se font plus fréquents, fournissant des points de débarquement faciles d’accès, ce qui n’est pas pour déplaire à ma petite vessie. Tandis que les autres se retiennent de boire, de peur de devoir demander à s’arrêter par la suite, je bois régulièrement.  Je sais par expérience que c’est la clef de la santé, surtout en voyage.

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Les arrêts sont aussi l’occasion de se dégourdir les pattes, de se rouler une cigarette pour certains, ou de s’essayer à la pêche au lancer pour d’autres.

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Je suis en admiration devant les arbres. Ils atteignent par endroits des hauteurs vertigineuses. Certains troncs – souvent blancs – se distinguent des autres par leur nudité. L’arbre apparaît alors plus haut que les autres. Mais ce n’est qu’une impression. La plupart des arbres sont pourvus de lianes qui descendent jusqu’au sol, comme pour appeler à l’escalade. Vue du fleuve, cette jungle est d’une beauté fascinante, mystérieuse.

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Et tandis qu’Atoke veille, avec plus ou moins de vigilance…

Atoke de profil  Atoke de dos

…tandis que le paysage défile devant mes yeux, mon esprit voyage à travers le temps. Et dire qu’il y a quelques années, il n’y a pas si longtemps, dans les années soixante, quiconque s’aventurait dans ces contrées isolées n’était pas sûr d’en revenir ! La tradition de couper la tête de son ennemi était encore de mise, et tout étranger était un ennemi. Aujourd’hui encore on spécule sur la disparition lors d’une expédition en territoire Asmat en 1961 de Michael C. Rockefeller, fils de gouverneur de New York Rockefeller. A-t-il été capturé par des anthropophages ? A-t-il été tué par un crocodile en voulant traverser une rivière ? Quoiqu’il en soit la Papouasie était loin d’être accueillante. Qu’en est-il aujourd’hui ?

Voilà presque quatre heures que nous naviguons. Nous n’avons croisé qu’un seul village.

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Hier nous avons navigué cinq heures. Le pays korowai se mérite. D’autant que pour atteindre le premier village de maisons hautes, il nous faudra marcher huit heures à travers la jungle dense. L’excitation monte à l’idée que nous nous rapprochons de notre destination. Je suis tiraillée entre la culpabilité et la curiosité. Je me sens coupable de rendre visite à ces gens qui vivent si loin du monde civilisé. J’ai peur de leur créer des besoins, de leur donner envie de quitter leur monde pour le nôtre. Je me rassure en me disant que je ne vais pas chez eux avec une mauvaise intention. Je ne veux ni leur piller leurs ressources, ni les convertir à une quelconque religion, ni les forcer à adopter des coutumes qui ne sont pas les leurs. Je suis juste curieuse de les connaître, curieuse de savoir comment ils vivent en communion avec cette forêt si hostile pour l’occidentale que je suis.

Au-milieu de la verdure, une tache bleu vif attire soudain notre regard. Cette couleur complètement inattendue dans ces lieux isolés vient d’une bâche qui fait office de toit. Le signe que nous nous rapprochons de Mabul.

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Peu de temps après, le fleuve s’élargit et se divise en deux. Nous empruntons la voie de droite. Les rives sont rouges, du rouge de la terre. Nous distinguons les premières habitations, puis les premiers Hommes. L’émotion me gagne et je devine que mes compagnons la partage.

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L’accueil ici n’a rien à voir avec celui à Suator, qui ressemblait à un village comme un autre. Mabul donne tout de suite l’impression d’un village reculé du monde. Des dizaines de badauds s’alignent le long de la rive pour nous voir arriver. Nous leur lançons des Selamat Siang (« Bon midi » en indonésien) et Manoptolobo (« bonjour » en korowai) à tout va. Je suis un peu anxieuse et timide à l’idée de rencontrer ce peuple.

Nous débarquons. Dès les premières minutes nous remarquons que beaucoup d’enfants sont malades (ils toussent) ou mal nourris (ils ont un gros ventre). Un homme nous fait signe de le suivre. Nous lui emboîtons le pas. Il nous entraîne dans une allée en terre le long de laquelle des baraques en bois, toutes semblables, s’alignent  rigoureusement. Telle est ma première image de Mabul.

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La maison dans laquelle on nous invite à entrer n’est pas différente des autres. Un balcon, une fenêtre, un toit de tôle, des murs de planches, le tout légèrement surélevé sur pilotis. A l’intérieur, trois pièces, séparées au moyen de véritables portes en bois. Pas de meubles, si ce n’est une étagère branlante sur laquelle repose une télé et une enceinte. Nous déposons nos petits sacs sur le plancher de bois habillé d’une toile cirée, tandis que des hommes et des femmes défilent pour déposer nos gros sacs.

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Le temps d’une pause thé/café dans notre nouvel hébergement suffit à faire connaissance avec une bande de curieux. Adossés le long d’un mur de la maison, des jeunes femmes et des jeunes enfants nous observent et se laissent observer. Ils se prêtent même avec plaisir à une séance photo.

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Wandi est toujours des nôtres. A peine arrivé, il repartira en sens inverse avec son oncle, Mus, le conducteur de la pirogue, pour rejoindre sa famille le temps d’une escale à Suator, puis sa mère à Longpon.

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Nous partons faire un tour dans le village, escortés de nos nouveaux amis. Construit de toutes pièces par le gouvernement, qui a entrepris de « civiliser » les Korowai, Mabul s’avère être un village sans charme et sans identité. Et pourtant, il est une réalité des Korowai, des jeunes surtout, qui subissent rapidement l’influence du monde moderne et quittent la forêt pour venir s’installer dans les villages. Mabul, c’est l’autre réalité des Korowai.

Dans mon prochain article, je vous expliquerai pourquoi c’est pour moi le meurtre d’une civilisation.