Jour 5 – Première marche dans la jungle dense de Papouasie

Mardi 4 juin 2013

Réveil aux aurores. Il a plu toute la nuit. Dehors la terre est gorgée d’eau. Au pied de notre maison s’est formée une large flaque d’eau boueuse. Notre « balade » dans la jungle promet d’être sportive.

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A l’heure du départ, les Korowai de Mabul ne se sont toujours pas mis d’accord sur quels porteurs se joindraient à l’expédition. Finalement douze porteurs accompagneront notre petit groupe constitué de sept touristes (essentiellement des femmes), d’un guide, Bob, et d’un cuisinier, Ferry. Parmi les porteurs quatre femmes, dont une vieille femme, et une maman avec son bébé et sa  petite fille, Mia.

Nous nous mettons en marche alors que le ciel blanchâtre déverse ses dernières gouttes.

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Dès la sortie du village, nous sommes plongés dans l’ambiance de ce qui nous attend. Le chemin est parsemé de souches et de ronces. Très vite, il nous faut traverser une première rivière en marchant en équilibre sur un tronc glissant. Je ne suis pas fière et je ne refuse pas l’aide de l’un des porteurs qui se propose de me tenir la main. Aussitôt que je sens la terre ferme sous mes pieds, mes jambes se mettent à trembler comme une feuille. Contrecoup de cette première montée d’adrénaline.

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De droite à gauche : Ferry, le cuisinier, qui tient la main de Johana, Manus, porteur, qui tient la main de Filo

Les traversées suivantes se feront plus facilement et sans aide. Pour moi du moins. N’oublions-pas que mis à part David, qui a moins de 30 ans, je suis la plus jeune du groupe (j’ai alors 33 ans). Je ne peux m’empêcher d’admirer ces femmes qui à plus de soixante ans ont le courage d’affronter la jungle et mettent leurs capacités physiques à dure épreuve. J’aimerais pouvoir en faire autant à leur âge !

Notre armée de Korowai se démène pour nous faciliter la tâche. Là, ils construisent une rampe de fortune, ailleurs ils coupent un arbre pour en faire un pont.

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Manus tend une liane d’un côté


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…tandis que Jonas l’accroche de l’autre


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Et voilà une belle rampe !


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Le même manège un peu plus loin…


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Jakoba aide Robin


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Les jeunes dégagent le passage, sous la direction d’un aîné

Je ne suis pas fâchée de ces attentions. Je n’ai pas franchement envie de passer tous ces cours d’eau à gué, avec de l’eau jusqu’à mi-jambes, les pieds fouillant la vase et à la merci de tout un tas de bestioles. Car il n’est pas question de garder ses chaussures et ses chaussettes. Dans  cet environnement, elles ne sécheraient jamais. Et gare alors aux mycoses et aux infections !

La pluie nous accompagne quasiment tout le long du chemin. Ici, il pleut toute l’année, en moyenne 3 mètres d’eau par an. La jungle ne connaît pas de saison sèche !

La chaleur humide ne me dérange plus depuis longtemps. Voilà des années que je vis sous les tropiques et mon corps s’est habitué.

Mais la pluie rend la marche plus difficile. Le sol est boueux, glissant, avec plein de troncs et de branches en travers du chemin. La vigilance est de rigueur. Le moindre écart de concentration et c’est la glissade. Nous y avons le droit au moins une fois chacun. Pour ma part, je glisse sur un tronc et j’atterris les fesses dans la boue. Mieux vaut ça que d’essayer de se rattraper à un arbre ou une branche. La forêt est pleine de pièges, comme les épines qui couvrent les pandamus sauvages. (contrairement au pandamus domestique)

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Je suis bien contente d’avoir de bonnes chaussures.

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Tout le monde n’est pas aussi bien équipé. Ferry, le cuisinier, et Johana, portent de petites baskets de ville. Probablement une question de moyen pour le premier et d’inexpérience pour la seconde !

Bob, notre guide, a opté pour des bottes en caoutchouc.

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Mais il m’envie mes chaussures de marche imperméables en GORE-TEX. Je lui laisserai à l’issue du séjour. Aujourd’hui, trois ans après, je m’imagine Bob avec mes chaussures aux pieds et ça me fait sourire ; j’espère qu’elles lui sont utiles.

Les Korowai eux n’ont pas ce problème. Ils marchent pieds nus dans la jungle !

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A croire que c’est la meilleure façon d’être chaussés parce qu’eux ne tombent jamais ! Dans la forêt ils sont chez eux. Heureux d’être là, ils chantent et leurs chants résonnent à travers la forêt.

Les Korowai marchent toujours en chantant pour annoncer leur présence ; il est préférable de ne surprendre personne dans une région où les ennemis sont nombreux…

Cliquez ici pour entendre leurs voix

Même la petite Mia, qui doit avoir à peine sept ans, est à l’aise dans la jungle. Elle manie la machette aussi bien que ses homologues masculins.

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A l’instar de ses aînées, Mia a elle-aussi rassemblé ses affaires personnelles dans un noken, un étrange sac en fibres végétales nouées à la main qu’on maintient sur le front et qu’on laisse pendre dans le dos.

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Mais contrairement aux autres, le sac de Mia est fabriqué à partir de fibres synthétiques colorées, qui trahit l’immixtion dans la vie des Korowai du monde moderne[1]. Les quatre femmes s’en servent pour transporter les affaires du jour, notamment les ustensiles de cuisine, tandis que les hommes portent nos gros sacs. Mais le noken n’est pas l’apanage des femmes. Et il est extrêmement résistant, comme je peux le constater quand je découvre que Tony en utilise un pour porter mon sac !

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J’apprends deux nouveaux mots en indonésien : lumpur, « boue », et lintas, « sangsue ». Ces dernières, je les crains comme la peste, pourtant la seule qui aura l’audace de s’approcher de moi n’ira pas plus loin que ma sacoche d’appareil photo. Heather n’aura pas cette chance ; Fayes lui en découvre une derrière l’oreille ! Tout de même pas très impressionnantes ces bêbêtes papoues. En fait de sangsues bien grasses comme je m’y attendais, je découvre de ridicules limaces pas plus grandes qu’une chenille de jardin breton. Je ne regrette quand même pas d’avoir imbibé mes vêtements de permethrine. Apparemment c’est efficace. Malheureusement cela ne repousse pas les lalat babi (mouches à cochon) qui profitent de la moindre partie de peau découverte pour se poser et piquer. Et fort !

Voilà plus de trois heures que nous marchons sans interruption. Quelques petits arrêts auraient été les bienvenus pour observer les plantes et les insectes, mais la météo n’est pas de notre côté. Nous profitons d’une accalmie pour faire la pause déjeuner.

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C’est l’occasion pour moi de faire plus ample connaissance avec nos porteurs. Les hommes s’activent et sont  incroyablement efficaces dans la jungle. Les uns s’occupent de faire partir le feu, un autre coupe du bois…

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Les femmes discutent entre elles. Je les observe. Elles ont beaucoup d’attention les unes envers les autres.

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Melina enlève des feuilles dans les cheveux de Jakoba


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Melina allaite son bébe, Deborah


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Melina tend un biscuits (salé) à sa fille, Mia


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Portrait de Fayes et de Gep

La pluie revient bientôt à la charge et nous sommes efforcés d’écourter notre repas. Encore deux bonnes heures de marche nous attendent avant d’atteindre le campement korowai dans lequel  nous allons passer la nuit.

[1] Le noken est le sac traditionnel des Papous dans les provinces indonésiennes de Papouasie et de Papouasie occidentale. Sa fabrication varie selon les communautés (fibre de bois ou de feuille, noué ou tissé), mais l’usage est identique. Les hommes et les femmes s’en servent pour transporter le produit des plantations et de la pêche, le bois de chauffe, les bébés ou les petits animaux (chiots, marcassins), ou pour faire les courses et ranger des affaires à la maison. En raison du nombre de plus en plus réduit de personnes qui fabriquent et utilisent le noken, l’Unesco a inscrit en 2012 cet objet sur sa liste du patrimoine immatériel nécessitant une sauvegarde urgente. Pour en savoir plus : http://www.unesco.org/culture/ich/fr/USL/le-noken-sac-multifonctionnel-noue-ou-tisse-artisanat-du-peuple-de-papouasie-00619