Le charme discret de Mombasa
Vous connaissez Mombasa de nom. Vous savez peut-être qu’elle est la deuxième plus grande ville du Kenya en termes de population après la capitale Nairobi. Mais savez-vous que cette ville est en partie sur une île ? Aujourd’hui, la ville s’étend au-delà de l’île, reliée au Nord par un pont et au Sud par un bac, mais il fut un temps où l’île et la ville se confondaient.
L’origine du nom Mombasa est controversée. La ville aurait été fondée sous le nom de Kongowea. Son histoire mouvementée lui aurait valu de se faire ensuite appeler Kisiwa cha Mvita, « l’île de la guerre », dont seul le nom Mvita serait resté[1]. Manbasa serait la traduction arabe de Mvita.[2] D’autres clament que le nom Mvita serait dérivé de celui du fondateur de la ville, Shehe Mvita. Quoi qu’il en soit, cette histoire de nom est à l’image de celui de la ville qui le porte : riche en péripéties.
Tour à tour aux mains des Arabes, des Portugais, des Britanniques, la ville de Mombasa est dotée d’une histoire riche et fascinante dont elle porte les traces.
Présents sur la Côte kenyane depuis le VIIIème siècle (en même temps que les marchands perses), les commerçants arabes s’y installent progressivement. Ils établissent d’abord des comptoirs sur les îles de l’archipel de Lamu, puis au XIème siècle, à Malindi et Mombasa.
Né progressivement de la rencontre entre la langue bantoue parlée par les populations locales (Pokomo, Nyika) et de la langue arabe, le swahili (= kiswahili, mot dérivé de l’arabe sawahil qui signifie « côte »)est alors bien implanté et est utilisé dans toute la région comme la langue du commerce. Ici on traite l’or, l’ivoire, les carapaces de tortue, les épices et bien-sûr les esclaves.
L’arrivée de Vasco de Gama à Mombasa en 1498 marque le début de la présence portugaise sur la Côte. Les Portugais créent des comptoirs un peu partout mais Mombasa résiste longtemps aux assauts et il faudra attendre quasiment un siècle, en 1593, pour que les Portugais viennent à bout de la ville. Ils placent alors la cité sous l’autorité de leur allié, le cheikh Ahmed de Malindi, et construisent le Fort Jesus, toujours debout aujourd’hui et sans conteste le plus emblématique des monuments de Mombasa.
En 1698, Fort Jésus tombe aux mains des Arabes d’Oman, à l’instar des autres villes de la Côte. Pendant près de deux siècles, les Omanis exerceront leur contrôle sur toute la Côte de Lamu au Kenya à Zanzibar en Tanzanie, jusqu’à ce que le Kenya devienne un protectorat britannique en 1895 (le Kenya accède à l’indépendance en 1963).
De Mombasa, nous n’avons pas vu grand-chose. Nous avons à peine effleuré du regard les rues de ses faubourgs, nous n’avons fait que traverser son cœur en empruntant ses grandes artères à bord d’un bajaj, quant à nos flâneries dans la vieille ville, elles nous ont toujours fait passer devant les mêmes endroits. Mais le peu que nous avons vu nous a suffi.
La vieille ville conserve de belles façades d’inspiration arabe, de belles portes, de beaux balcons, mais malheureusement beaucoup tombent en ruine. Les rues sont incroyablement sales. Par endroits, les ordures s’amoncellent. L’eau que les premières pluies de la saison ont rendu prisonnière des canaux charrie avec elle dans sa course des déchets de toute sorte. Des monceaux de planches sont laissés à l’abandon (ou stockés ?) à même la rue. A la tombée du soir, vers dix-huit heures, la vie se fait plus discrète. Les boutiques se ferment une à une et les étroites ruelles se vident. Il ne reste plus que quelques enfants qui jouent et des femmes qui discutent sur le pas de leur porte tout en faisant leur lessive.
A l’entrée de la vieille ville s’élève le fort Jesus. Chère (1200 KES) pour ce qu’elle offre à voir, la visite de cet imposant édifice vaut le détour quand-même, ne serait-ce que pour plonger quelque temps dans les eaux houleuses de son histoire. Un guide peut s’avérer utile, mais avec des enfants, il ne faut pas compter effectuer une quelconque visite guidée.
Nous avons donc déambulé dans le fort à notre guise. Nolan et Timéo ont apprécié la visite, surtout Nolan qui se prenait pour un soldat et jouait de canon en canon.
Le Fort Jesus conserve dans ses murs de beaux trésors, comme cette porte ou cette reproduction d’une carte portugaise datant du 16ème siècle. C’est incroyable de découvrir à quel point l’art de la cartographie était alors avancé…
Non loin du fort se tient la Haute Cour de justice, construite au début du vingtième siècle sous l’ère coloniale britannique. Comme les rares autres bâtiments coloniaux de la ville, celui-ci se fait discret, caché derrière les arbres.
En dehors de la vieille ville (Fort compris), Mombasa ne présente guère d’intérêt à mes yeux, si ce n’est peut-être son âme. Et encore. Dans cette ville majoritairement musulmane (à la différence du reste du pays), les mosquées fleurissent et les femmes sont voilées, pour certaines de noir de la tête aux pieds. En comparaison avec les autres villes de la côte, j’ai l’impression que Mombasa vit à cent kilomètres heures. La nuit, la ville transpire et inspire la peur. Les ruelles sont noires et désertes, les grandes artères sont à peine éclairées, les restaurants sont fermés après vingt-deux heures, des gardes sont postés devant les devantures des magasins protégées d’un rideau de fer. Apparemment les gens se barricadent. Il faut croire que la criminalité au Kenya n’est pas une légende.
En outre, j’ai regretté de ne pas trouver de front de mer digne de ce nom. A Mombasa même, pas de restaurants, de bars ou de glaciers qui donnent sur la mer. Pour cela, il faut aller à Nyali, de l’autre côté du port, à une trentaine de minutes.
Certes Mombasa a ce petit quelque chose en plus qui fait d’elle une ville plus agréable à vivre que certaines grosses villes africaines. Elle a – pour reprendre les mots de Michel Berger (chantés par France Gall) – ce « tout petit supplément d’âme, cette petite flamme ». Est-ce son histoire, qui s’incarne dans Fort Jesus, dernière fenêtre ouverte sur ce passé tumultueux ? Est-ce le charme désuet des bâtiments coloniaux ? Est-ce la vie autour du Fort à la tombée du soir ? Est-ce les enfants qui jouent dans les ruelles de la vieille ville ? Est-ce son parc public et ses amoureux ? Ou encore ses rues bordées d’hibiscus et de bougainvilliers ? C’est probablement tout à la fois.
Mais il lui manque malheureusement un petit quelque chose pour en faire une ville que l’on n’oublie pas.
[1]www.heritageinafrica.org/about-us/mombasa-community/61-mombasa.html
[2] (en) n.c., « Manbasa, Mombaz, Mvita? It’s a mix of histories for coast city », Daily Nation, Nairobi, Nation Media Group, 15 juillet 2013 http://www.nation.co.ke/Features/DN2/Manbasa-Mombaz-Mvita/-/957860/1914674/-/pnfgq/-/index.html
N.B.: faute d’Internet pendant presque deux semaines, j’ai pris un peu de retard…
C’est toujours un vrai régal de lire tes aventures ! Tu es vraiment très douée pour nous faire participer à votre voyage.
Bises de la Martinique.
Françoise et Jean-Louis