Road-movie à pied dans la région de Mbeya
Quand, le 29 septembre 2006, nous montons en gare de Dar es Salaam dans un train de la TaZaRa (Tanzania Zambia Railway) à destination de Mbeya (toujours en Tanzanie), nous sommes loin de nous imaginer que nous filons droit vers l’une des aventures les plus risquées qu’il nous sera donné de vivre. Avec du recul, c’est une aventure à raconter. Sur le moment, c’était plutôt un cauchemar à vivre.
Jour 1 : une douce entrée en matière
Il nous faut presque deux jours pour nous remettre de nos 26 heures de voyage en train. Après avoir bien profité de Mbeya, une ville au climat agréable, peuplée d’enfants des rues et de jacarandas (arbre subtropical doté d’une superbe floraison mauve), nous décidons d’aller explorer le coin.
C’est à moto que nous partons ce jour-là à la découverte de la région de Mbeya. Il s’agit certainement de la moto la plus pourrie que nous ayons jamais louée, mais nous sommes déjà contents d’avoir trouvé le gars ayant accepté de nous la louer. Il n’y a pas pléthore d’agences de location de motos dans le coin.
Le premier jour nous traversons le Kitulo Plateau.
Surnommé ici Bustani ya Mung « le Jardin de Dieu », le plateau de Kitulo est le premier Parc National d’Afrique à être répertorié pour son importance florale. Mais à cette époque de l’année, les fleurs se font rares, les pluies n’étant pas encore venues arroser la région (la période de floraison correspond à la saison des pluies qui couvre la période de décembre à avril). Malheureusement et heureusement car elles auraient rendues impraticable en moto le chemin déjà scabreux et extrêmement poussiéreux. Je me rends vite compte que pendant ce périple je vais devoir me résigner à laisser mon appareil photo à l’abri dans sa sacoche.
Nous traversons au rythme des bosses et des glissades des paysages vraiment surprenants. La terre, habituellement rouge ocre, est alors noire comme du charbon. Recouverte de bouquets de fleurs jaunes ou bleues, elle semble complètement désertée. Seul un papillon vole devant nous comme s’il voulait nous indiquer le chemin. Parfois, sortis de nulle part, des hommes, à pied ou à vélo, tendent leur main pour demander une pièce.
Bientôt ce paysage lunaire laisse place à de magnifiques montagnes rondes et rosées sous la lumière du soleil baissant. Partout dans les vallées et sur les versants des collines, des feux provoqués par les paysans laissent s’échapper haut dans le ciel des fumées plus ou moins noirâtres selon l’ampleur du feu. Les champs de blé et de maïs apportent une délicieuse touche dorée au paysage.
A la tombée de la nuit, nous faisons halte pour la nuit dans un petit village.
Jour 2 : le jour le plus long de ma vie
De jour…
Le deuxième jour, nous descendons une route relativement bonne mais très escarpée qui offre une vue imprenable sur la vallée de Chimala. Les paysages traversés me rappellent parfois ceux de certaines régions françaises. Mais quand à l’horizon, je vois se profiler les silhouettes de trois femmes enrubannées dans des tissus colorés, et portant des charges sur la tête, ou qu’au détour d’un virage, nous devons éviter des gros babouins installés au milieu de la route, je me dis « pas de doute, je suis bien en Afrique. »
Arrivés en bas nous poursuivons notre périple cette fois à travers la plaine. Nous traversons peu de villages (un village tous les quarante kilomètres) mais toutes sortes de paysages sauvages de toute beauté. Mes connaissances limitées en géographie ne me permettent malheureusement pas de mettre un nom sur tous ces types de paysage. Tour à tour le sol change de couleur, de noir il devient rouge puis passe au blanc. L’air est aussi sec que la végétation, composée de quelques cactus, d’un baobab tous les cents mètres et de nombreux buissons épineux. Nous nous arrêtons pour observer les curieux enclos de broussailles et d’épines que les habitants isolés ont confectionnés pour protéger leurs bétails, probablement des bêtes sauvages. A mesure que nous nous enfonçons dans la brousse, les habitations se font de plus en plus rares et l’environnement de plus en plus sec. La terre craque sous les roues. De temps à autre nous croisons des personnes seules ou des groupes d’écoliers. D’où viennent-ils ? Où vont-ils ? Ceci restera un mystère. Les distances qui séparent deux habitations sont tellement grandes…
Au loin dominent les montagnes de Mbeya, qui nous servent de repère.
Après le deuxième village, où nous descendons chacun d’une traite un litre d’eau sous les yeux écarquillés des villageois, nous entrons dans une forêt, qui deviendra vite hostile. La route sablonneuse nous vaut une première chute, sans gravité, puis une deuxième. Cette fois, la poignée de l’embrayage est cassée. Nous tentons tant bien que mal de la rafistoler avec ce qu’on a sous la main. C’est alors qu’une horde de moustiques, que j’ai d’abord pris pour des mouches tellement ils étaient bruyants, se jette sur nous. Nous nous dépêchons de repartir. Désormais il nous faut éviter de tomber ; la moto ne le supporterait pas.
Une centaine de mètres plus loin, le moteur se met à cafouiller. Le réservoir est presque vide. Dès lors notre situation devient critique. La forêt est de plus en plus hostile. On n’y rencontre pas âme qui vive et les oiseaux se sont bizarrement arrêtés de chanter. Mon imagination s’emballe et il n’en faut pas beaucoup pour que je voie s’animer les arbres aux branches crochues. Je m’accroche désespérément aux traces de voitures ou vélos dessinées sur le sol. Enfin la vue s’éclaircit. Nous sortons de la forêt. Nous soupirons de soulagement à la vue d’un village. Mais la chance n’est pas avec nous.
Les villageois n’ont pas d’essence. Ils nous indiquent la direction de Chunya. La moto nous permet de faire encore une dizaine de kilomètres à travers champs et forêts. Du haut d’une colline je découvre avec anxiété des arbres à perte de vue. Chunya me semble bien loin.
Bientôt, c’est la panne sèche. La moto choisit de nous lâcher pile à la tombée de la nuit, à l’orée d’un hameau perdu dans un pli de la forêt. Les paysans ne nous inspirent guère confiance. Ils semblent tous un peu fous et attaqués par la bière locale. Nous ne pouvons nous empêcher de penser qu’ici le mariage consanguin est de mise…
De nuit…
Nous marchons au clair de lune pendant plusieurs kilomètres, le long d’un chemin qui n’en est peut-être pas un, nous relayant pour pousser la moto, tantôt par le guidon, tantôt par l’arrière. Quand il ne pousse pas la moto, Alex marche les yeux rivés sur son GPS, qui soi-disant lui indique une route, un point auquel il s’accroche, comme les rois mages à l’étoile du berger.
Et puis ce que nous croyions être un chemin s’arrête d’un coup. Nous sommes perdus. Heureusement la lune est avec nous. Un peu plus loin, à l’orée d’une clairière, nous distinguons un toit de tôle.
Je suis partisane de nous arrêter ici pour le reste de la nuit et de demander notre chemin au petit matin. Alex persiste à croire qu’il existe une route, là, quelque part. Finalement, nous décidons de tenter le tout pour le tout et de déranger les habitants – si tant est qu’ils existent – de la petite ferme que nous avons repérée.
Je pars en éclaireur. La voix d’une étrangère inquiètera peut-être moins les esprits que celle d’un étranger. Alex me suit de près. J’enjambe tant bien que mal la clôture d’épines qui entoure la cour. Au milieu se dressent deux petites constructions de bois. Dans l’une d’elle, une lueur vacille. En m’approchant, je distingue des chèvres et des chiens, qui dorment à la lumière d’une petite lampe à pétrole. Pour le reste, l’endroit semble désert.
Je manifeste notre présence par un hodi (« il y a quelqu’un » en swahili) d’une voix hésitante. En guise de réponse, un grognement, qu’on prendra d’abord pour celui d’un chien, nous parvient de la deuxième maisonnette. Un coup d’œil à travers les lattes écartées me confirme que la maison est bel et bien habitée. Je poursuis dans mon pauvre swahili : unawesa kusaidia ? (« tu peux aider ? »). La porte finit par s’ouvrir et nous découvrons un homme, enveloppé dans une couverture, les yeux encore gonflés de sommeil.
Nous lui expliquons notre situation et lui demandons de nous indiquer le chemin à prendre pour rejoindre un village proche où nous pourrions nous ravitailler en essence, à défaut celui de la grande route qui mène à Chunya. Il commence par nous apprendre qu’il n’existe pas de grande route. Il ajoute que le prochain village est bien loin et ce n’est probablement pas là que nous trouverons de l’essence. Il se propose de nous accompagner un bout de chemin. Je suggère qu’on attende le lendemain matin pour partir. Nous avons déjà beaucoup marché. Mais nous lisons dans son regard que ce n’est pas une bonne idée. « Ils n’y pensent pas, vraiment, ces Wazungu, marcher en pleine journée, sous le soleil brûlant, sans eau, sont-ils fous ? » doit-il se dire.
Assis sur le pas de sa porte, nous l’attendons le temps qu’il s’habille. J’occupe probablement la seule chaise du foyer. C’est alors qu’un jeune homme enveloppé d’une couverture masaï rouge à carreaux vient s’assoir à côté de moi. Il me scrute d’un étrange regard, un peu fou. Il me demande à quelle tribu j’appartiens ; j’opte pour wazungu (« touriste » en swahili) et je lui pose la même question. Lui est sukuma (premier groupe ethnique de Tanzanie concentré à l’est et au sud du lac Victoria). Je me demande comment cette famille a atterri là.
Avant de nous mettre en route, nous demandons de l’eau. Le père essaie de nous mettre en garde mais nous insistons. Il nous apporte une tasse d’eau noire. La nuit ne suffit pas à cacher sa couleur. Nous laissons la tasse au sol et emboîtons le pas à notre guide, armé d’une belle bicyclette d’une qualité inattendue pour ici, chaussé d’une paire de tongs, et vêtu maintenant d’une chemise, d’un pantalon, et d’un blouson car les nuits sont fraîches dans la région.
Nous récupérons la moto là où nous l’avons laissée. Alex « invite » Shalali – c’est son prénom – à pousser la moto avec lui, tandis que je pousse son vélo. L’homme comprend vite que pousser une moto n’est pas une balade. Il se dit que Mapogoro se trouve loin d’ici et qu’ils ne sont même pas sûrs de trouver de l’essence là-bas. Peut-être faudrait-il pousser jusqu’à la ville de Chunya, qui se trouve à des lieues d’ici… Shalali nous propose d’aller chercher de l’essence à Chunya d’un coup de bicyclette. Bien que tentante, nous refusons cette proposition. Nous craignons trop de nous retrouver de nouveau seuls dans cette forêt hostile, sans aucun moyen de retrouver notre chemin.
Durant de longues heures, nous suivons notre guide. La route qu’il emprunte est faite de lignes droites, de tournants, de fourches, de croisements. Jamais nous n’aurions trouvé notre chemin tout seul.
Plus d’une fois, je me dit qu’en réalité, il ne connait pas l’itinéraire, qu’il est fou et qu’il se laisse lui-même guider par ses pas. Cela parait tellement improbable de retrouver le chemin en pleine nuit. Mais passés quelques kilomètres, je décide de lui faire confiance. S’il avait voulu nous emmener quelque part pour nous détrousser et nous tuer, il l’aurait fait depuis longtemps. De toute façon, nous n’avons pas d’autre choix que de le suivre.
Plus d’une fois notre guide souffle en lançant bado bari (« encore loin ») ? Loin de nous encourager, ces mots nous démoralisent. Un Africain qui se plaint de la distance à parcourir, ce n’est jamais de bon augure. Plus d’une fois, je lis dans ses yeux son désir de nous abandonner, de nous laisser là, au beau milieu de la nuit et de nulle part, et de rentrer chez lui. Plus d’une fois, il essaie de se défiler, en nous disant qu’il suffit de continuer tout droit. Mais à chaque fois, nous savons être persuasifs pour qu’il reste à nos côtés. Je crois qu’il a surtout pitié de moi.
Les pauses sont rares et courtes, pour éviter de nous engourdir. A 1500 mètres d’altitude, les nuits sont froides, même sous les tropiques. Tant que nous étions dans la forêt, à l’abri du vent, le froid nocturne restait supportable. Mais sur les collines et les plaines balayées par les vents, les morsures du froid sur le visage sont une souffrance de plus à endurer à côté de la fatigue, de la soif et de la faim. Nous ne nous sommes rien mis sous la dent depuis le midi. Nous partagons le peu d’eau que nous avons avec Shalali. Mais nous en avons si peu…
Pendant plusieurs kilomètres, je marche en retrait, poussant le vélo, dont les pédales me labourent les mollets, tandis qu’Alex et Shalali poussent la moto à quelques dizaines de mètres devant moi. Un moment donné, j’entends un grognement dans un buisson tout près de moi. Dans un sursaut, je détale à toutes jambes pour me rapprocher de mes compagnons de route, que je ne lâcherai plus. Je me suis étonnée moi-même des forces insoupçonnées qu’il me restait. Je ne saurai jamais quel animal m’a fait si peur cette nuit-là. Un sanglier ? un lion ? peut-être seulement une bête inoffensive… mais le bush tanzanien est plein de surprises, bonnes ou mauvaises. Mieux vaut y prendre garde.
Apeurée, fatiguée de marcher tout en poussant le vélo, tiraillée par la faim, souffrant tour à tour du froid glacé de la nuit et du chaud provoqué par l’effort, sans compter l’hématome qui s’étendait sur chacun de mes mollets, je n’ai pas été très attentive aux types de paysages parcourus. En outre, la lune n’a pas toujours été serviable et il m’a fallu parfois marcher à la lueur de ma lampe frontale pour pouvoir emboîter le pas à mes compagnons de route. Mais à en croire le sol, tantôt sablonneux, tantôt herbeux, tantôt craquelé, à en croire les sentiers, tantôt dégagés, tantôt forestiers et si étroits que les branches nous lacéraient les jambes, nous avons traversé des paysages très différents.
Un moment, alors que je venais de stopper ma marche pour reprendre quelques forces, je m’effondre au sol, entraînée par la bicyclette trop grande pour moi, et victime de mes jambes qui ne me tiennent plus. C’est d’ailleurs à ce moment-là que je perds la pompe du vélo, ce qu’on ne remarquera que plus tard. Shalali a eu peur que sa bicyclette ne soit abîmée mais – je l’ai bien senti – il a eu peur aussi pour moi.
Pendant tout ce temps, je me suis désespérément accrochée à tout ce que je pouvais. Au nom du village qu’on était censé atteindre – Mapogoro, et à tous les signes d’une vie humaine à proximité : le chant d’un coq, la fumée d’un feu,… Même si au fond, tout ça ne veut pas dire grand-chose en brousse, car les gens vivent parfois à des kilomètres les uns des autres, tout comme c’était le cas de notre guide sukuma.
Enfin, une lueur d’espoir. Shalali nous montre au loin des lumières électriques. Chunya ! Si loin, si loin… mais ce signe nous montre au moins que notre guide sait ce qu’il fait et qu’il ne nous a pas perdu.
Peu de temps après les premières lueurs du jour pointent à l’horizon. Nous avons marché toute la nuit, et nous sommes encore loin de Chunya et même de Mapogoro.
Jour 3 : la promesse de l’aube
L’aurore succède à l’aube. Nous marchons depuis la veille au coucher du soleil. Je suis exténuée. Je ne sais même pas comment mes jambes de coton peuvent encore soutenir tout mon poids. Je remercie la nature, mes parents et ma pratique passée mais régulière du sport de m’avoir fourni des jambes musclées sans lesquelles je ne serais pas arrivée jusqu’au bout de la nuit.
Bientôt nous traversons une rivière en contrebas. Shalali descend remplir nos gourdes. Alex n’attend même pas que les pastilles de clore fassent effet. Je ne prends pas de risque et bois quelques kilomètres plus loin. Le goût est vraiment infect.
Nous croisons plusieurs femmes qui vont chercher de l’eau à la rivière. Alex comme moi, chacun de notre côté en secret, caressons l’espoir d’arriver bientôt à Mapogoro. Shalali est peu loquace. Quant à nous, nous n’avons même plus la force d’ouvrir la bouche. Malheureusement il s’agit d’un simple hameau. Notre guide discute un temps avec les villageois qui n’en reviennent pas que nous arrivons de si loin et sans avoir dormi. Je considère cela comme un compliment venant de la part d’Africains qui ont l’habitude de marcher plusieurs kilomètres par jour.
Alex en profite pour demander de l’aide pour pousser la moto, dont un pneu est à présent crevé. Deux grands gaillards se portent volontaires. Un les lâchera en cours de route. Quant à moi, je bénéficie de l’aide d’un adorable petit garçon, répondant au joli nom de Zaéli. C’est avec énergie qu’il pousse à côté de moi le vélo, que je n’en pouvais plus de pousser seule.
Les sourires généreux dont me couvre le petit Zaéli et qui laissent découvrir de belles dents blanches au milieu de son joli visage tout rond sont une récompense à mes efforts et réchauffent mon cœur.
Je remarque qu’il porte à un pied une botte en caoutchouc trop grande pour lui et à l’autre une sandale trop serrée. Il s’en débarrassera ni vu ni connu sur le chemin et poursuivra à pied. Quand je lui demande où il va à l’école il me répond Mapogoro. Il fait donc plusieurs kilomètres tous les jours pour aller à l’école.
Enfin, apparaissent les premières maisons de Mapogoro. Allons-nous trouver de l’essence et même de l’eau à boire ici ?
Dès l’entrée du village, nous avons la chance de tomber sur un fundi piki piki (« ouvrier moto ») qui nous emmène dans son garage et se met aussitôt à effectuer quelques réparations sur la moto (embrayage, pneu). Pendant ce temps, j’use de mes dernières forces pour aller acheter des sodas et de l’eau dans une duka (« boutique ») environnante.
Nous avions deviné juste : pas d’essence au village. Mais si les Tanzaniens sont très doués pour vous mettre dans la mélasse, ils sont aussi les meilleurs du monde pour vous en sortir ! Notre aventure a vite fait le tour du village et en un rien de temps un jeune homme est déjà en route à vélo pour la ville de Chunya, située à 12 kilomètres de là, pour y chercher de l’essence.
Nous voyant presque tirés d’affaire, nous acceptons enfin de « relâcher » nos anges gardien ; mais pas sans les avoir gratifié d’une récompense bien méritée. 6000 shillings au gars du hameau voisin, 2000 à Zaéli et 10 000 à notre guide sukuma qui vient quand-même de nous sauver la vie.
Shalali n’a pas demandé son reste. Il a empoché son argent, nous a serré la main, m’a complimenté en me disant que j’avais bien marché et est reparti sur son vélo.
Quant à Zaéli, il est resté pas mal de temps à tourner autour de nous. Je n’ai pas pu m’empêcher de lui donner 2000 shillings supplémentaires en lui disant d’allant s’acheter des sodas, des bonbons, ce qu’il voulait,… Il m’a assuré s’être acheté un coca, un bandazi et des bonbons, mais je ne suis pas sûre qu’il l’ait fait. Il est probable qu’il ait gardé l’argent pour nourrir sa famille.
En attendant le retour de notre « coursier », nous nous effondrons. Je m’étale de tout mon long à même le sol en me servant de mon sac comme d’un appui tête. Nous grignotons quelques friandises achetées dans une boutique du village. Alors que je ne les sentais plus depuis plusieurs heures, plus concentrée sur mes efforts que sur ma douleur, mes crampes aux mollets se font subitement et violemment sentir. Le moindre mouvement me coûte. Quand je dois me relever pour remonter sur la moto prête à partir, je dois donner des efforts surhumains.
Ces crampes me dureront deux jours, malgré les litres d’eau avalés et les étirements.
La route entre Mapogoro et Chunya est affreusement chaotique et je peux sentir chaque sursaut au plus profond de mes jambes meurtries par les crampes, les bleus et les éraflures.
Arrivés à Chunya nous débarquons dans le premier – et le seul – hôtel, heureusement plus que correct, et je m’effondre de fatigue.
Sachez que nous avons marché de 20h, un peu après la tombée de la nuit, jusqu’à 9h30 du matin, heure à laquelle nous avons atteint le village de Mapogoro soit plus de 13 heures de marche ininterrompue. D’après le GPS nous avons fait 30 kms en ligne droite soit 40 kms voire plus à pied. Ce mardi 3 octobre 2006, un an jour pour jour après avoir embrassé Alex pour la première fois, restera le plus long de toute ma vie.